Journal Intime d'une Dépressive qui se Soigne

Je m’appelle Élyra Solän. Jeune femme d’une trentaine d’années, maman de deux enfants, j’apprends à affronter mes peurs, mes blessures et mes silences. J’écris ici pour me soigner, pour me retrouver, et pour ne plus transmettre ce qui m’a fait mal. J’ai compris que demander de l’aide, c’est une immense force.

J’apprends à aimer ce qui reste sans souffrir de ce qui manque.

Il y a des histoires qui ne naissent pas le jour où on les raconte,
mais le jour où on accepte enfin de les regarder en face.

Je crois que celle-ci en fait partie.

C’est l’histoire de deux sœurs.
Deux enfants élevées sous le même toit, mais jamais dans le même monde.
Deux trajectoires qui auraient dû se croiser doucement,
et qui pourtant ont passé leur vie à se frôler sans jamais s’apprivoiser.

C’est une histoire d’amour maladroit, de blessures silencieuses,
de rivalités tues, de malentendus qui ont laissé des cicatrices.

C’est mon histoire.
La nôtre.
Celle que je porte depuis trop longtemps sans la dire.

On dit souvent que dans une fratrie, chacun occupe une place.
Ce qu’on oublie, c’est que certaines places enferment,
et que d’autres étouffent.

Moi, j’ai grandi dans l’ombre d’une sœur qui avait déjà treize ans d’avance.
Quand elle était adolescente, j’étais une petite fille dans mon univers :
licornes, paillettes, princesses, contes imaginaires.
Elle, elle était déjà « grande », sportive, vive, extravertie, toujours dehors.

Elle courait.
Je rêvais.

Elle brillait dans la performance.
Je tremblais dans la sensibilité.

Elle vivait dans l’action.
Je survivais dans le silence.

Nous étions sœurs,
mais nous ne parlions pas la même langue.

Quand j’étais petite, elle était mon héroïne.
Mon refuge, ma seconde maman.
Je la suivais partout, au point qu’elle devait parfois se cacher pour sortir.
Je la regardais comme on regarde quelqu’un qui sait tout, fait tout, comprend tout.

Et puis… elle est partie.
Elle a quitté la maison pour travailler, ouvrir le bar-tabac avec notre mère.
Moi, adolescente, je suis restée dans un foyer qui ne tournait plus autour de nous,
mais autour des horaires d’ouverture.

La vie l’a happée loin.
Et moi, j’ai appris à exister toute petite dans le trop-plein des adultes.

Il y a eu aussi ces phrases d’enfance, dites “pour rire”.

— « T’es adoptée. »
— « On t’a trouvée dans une poubelle. »

Je riais.
Je faisais semblant.

Mais ce sont des phrases qui laissent un trou dans le cœur d’un enfant sensible.
Une fissure dans l’estime de soi.
Je ne comprenais pas que ce n’était pas de la méchanceté,
juste une maladresse brute, non filtrée.

Mais la froideur, quand elle vient de quelqu’un qu’on admire,
ne coupe pas pareil.

Puis la vie nous a séparées encore un peu plus.

Elle est devenue adulte avant moi.
Elle a affronté la perte d’un bébé,
une douleur dont je n’ai vu que l’ombre.
Elle s’est blindée, durcie, refermée.
Elle est devenue cette femme qui tranche, qui juge, qui corrige.

Et moi ?
J’ai pris l’autre rôle.
La petite sœur silencieuse.
Celle qui encaisse.
Celle qui espère être assez.
Celle qui demande l’approbation.

Après la mort de papa, elle est devenue… lui.
Pas volontairement.
Mais dans le ton, dans l’exigence, dans le jugement.

Moi, j’attendais un rapprochement.
J’ai reçu une distance plus froide encore.

J’avais besoin d’une sœur.
J’ai eu une surveillante

Depuis quelques semaines seulement, quelque chose a bougé en moi.

Je ne me sens plus écrasée.
Je ne me sens plus étouffée.

Mais je me sens encore blessée.
Pas par ce qu’elle est,
mais par ce qu’on n’a jamais su être ensemble.

Ce que je voudrais ?
Une vraie relation de sœurs.
Pas parfaite, juste sincère.
Celle où on s’appelle pour un fou rire, une mauvaise journée, une confidence.
Où l’amour passe avant le jugement.

Ce que je refuse désormais ?

— son jugement
— ses critiques
— son rôle de “celle qui sait mieux”
— son regard méprisant
— sa volonté de contrôler
— sa manière de projeter sa culpabilité
— la sensation d’être toujours “pas assez”

Je refuse de porter ce qui ne m’appartient plus.

Et pourtant, je l’aime.

Mais je l’aime lucidement.
Je sais qu’elle ne sait pas dire les choses.
Qu’elle ne s’autorise pas la douceur.
Qu’elle a ses blessures, ses failles, ses silences.

Je l’aime sans m’effacer.
Sans attendre qu’elle devienne ce qu’elle ne peut peut-être pas être.
Je l’aime à bonne distance.

Aujourd’hui, je pose cette vérité :

Nous ne serons peut-être jamais les sœurs que j’ai rêvé d’avoir.
Pas parce qu’elle ne m’aime pas,
mais parce que nous vivons dans deux météos différentes :

Elle dans le vent, la vitesse, la force.
Moi dans l’eau, la profondeur, le silence intérieur.

Et ce n’est pas grave.

Je peux aimer quelqu’un sans me renier pour lui.
Je peux protéger ma lumière, mes limites, ma paix.
Je peux choisir de ne plus espérer ce qui blesse,
ni de courir après ce qui ne vient pas.

Et peut-être qu’un jour,
lorsque sa voix cessera de vouloir couvrir la mienne,
nos deux silences pourront enfin s’entendre sans s’écraser.

Il m’a fallu trente-deux ans pour comprendre
que ma sœur n’était pas mon ennemie.
Elle était simplement prisonnière de son rôle,
comme moi je l’étais du mien.

Aujourd’hui, je rends à la vie ce qui nous a séparées.
Je garde d’elle ce qui fait grandir.
Je laisse derrière ce qui abîme.

Peut-être qu’un jour nos chemins se croiseront autrement.
Sans lutte.
Sans comparaison.
Sans bruit.

En attendant, je prends soin de moi.
Et je prends ma liberté.

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