Journal Intime d'une Dépressive qui se Soigne

Je m’appelle Élyra Solän. Jeune femme d’une trentaine d’années, maman de deux enfants, j’apprends à affronter mes peurs, mes blessures et mes silences. J’écris ici pour me soigner, pour me retrouver, et pour ne plus transmettre ce qui m’a fait mal. J’ai compris que demander de l’aide, c’est une immense force.

  • Je regarde ce qui change, sans me perdre dedans.

    Il y a des mots qu’on n’écrit pas pour créer une réaction.
    On les écrit parce que les garder à l’intérieur devient trop lourd.
    Cette lettre, je ne l’ai pas écrite pour provoquer,
    ni pour forcer un changement.
    Je l’ai écrite parce que quelque chose en moi ne pouvait plus se taire.
    Et après l’avoir envoyée, j’ai observé.
    Sans attente démesurée.
    Sans naïveté.
    Mais avec une lucidité nouvelle.

    Je n’ai pas écrit cette lettre pour provoquer un électrochoc.
    Je l’ai écrite par nécessité vitale.
    Pas par colère.
    Pas par vengeance.
    Mais parce qu’il fallait que ce soit dit.
    Même si ça dérange.
    Même si ça bouscule.
    Même si ça fait peur.
    Depuis, je sens que quelque chose a bougé.
    Je le perçois dans les échanges,
    dans la fréquence,
    dans une forme de rapprochement, presque légère.
    Et je ne le nie pas.
    Je ne fais pas semblant de ne pas le voir.
    Mais aujourd’hui, je ne me verse plus d’illusions.
    Je sais qu’un vrai changement ne se décrète pas.
    Je sais qu’il ne naît pas en quelques jours.
    Je sais qu’il ne se mesure ni à une attention soudaine,
    ni à une communication plus fluide.
    Je sais que le temps est le seul révélateur honnête.
    Et surtout… je sais reconnaître les mécanismes.
    Parce que je les ai trop vus.
    Trop vécus.
    Trop subis.
    Ces moments où, lorsqu’une limite est posée, quelque chose se réactive :
    une proximité soudaine,
    un lien plus appuyé,
    une présence presque trop ajustée.
    Je ne dis pas que c’est conscient.
    Je ne dis pas que c’est mal intentionné.
    Je dis simplement que je connais ces dynamiques.
    Et que mon corps, lui, ne se trompe plus.
    Avant, j’aurais voulu y croire immédiatement.
    Avant, j’aurais mis mes ressentis de côté pour préserver le lien.
    Avant, je me serais effacée encore.
    Mais aujourd’hui, je suis ailleurs.
    Je suis assez lucide pour observer sans juger.
    Assez en paix pour ne pas réagir dans l’urgence.
    Assez ancrée pour sentir quand quelque chose est sincère…
    et quand cela rejoue un ancien schéma.
    Je ne ferme aucune porte.
    Mais je n’ouvre plus en grand sans sécurité.
    Ma priorité a changé.
    Ma priorité, maintenant, c’est moi.
    Mon équilibre.
    Ma paix.
    Ma reconstruction.
    Je ne me mettrai plus en retrait pour laisser les autres exister.
    Je ne me réduirai plus pour maintenir une harmonie qui me coûte trop cher.
    Je ne sacrifierai plus mon espace intérieur pour préserver un lien bancal.
    S’il y a un changement réel, profond, durable,
    je le verrai dans le temps.
    Dans le respect répété.
    Dans l’absence d’ingérence.
    Dans la capacité à me laisser être, pleinement.
    Et s’il n’y en a pas…
    je saurai aussi me protéger sans culpabilité.
    Je sais aujourd’hui que je ne me trahirai plus.
    Je sais que je n’ai plus besoin de forcer les liens.
    Je sais que je peux aimer sans m’abandonner.
    Cette lettre n’était pas une attaque.
    C’était un acte de survie.
    Un acte de vérité.
    Et désormais, je marche avec plus de calme,
    mais aussi avec des limites claires.
    Parce que me choisir n’est plus une option.
    C’est une nécessité.

    Je n’attends plus que les choses changent vite.
    J’attends qu’elles changent vrai.
    Je laisse le temps faire son œuvre,
    et moi, je continue de me préserver.
    Parce qu’aujourd’hui,
    je sais exactement ce que je mérite —
    et ce que je ne suis plus prête à accepter.

  • Je protège ma paix même si ça dérange.

    y a des moments où l’on tient debout de justesse.
    Des moments où chaque jour est une lutte invisible,
    où l’on avance fragilement, pas à pas,
    en essayant de préserver un fil minuscule de paix intérieure.

    Et c’est précisément dans ces moments-là
    que certaines personnes s’autorisent encore à entrer dans notre vie
    sans demander, sans écouter, sans respecter.

    C’est ce qui m’est arrivé.

    Pas une fois.
    Deux fois.
    En moins d’une semaine.

    Quand l’ingérence devient une violence silencieuse

    Ce n’était pas un drame.
    Ce n’était pas une catastrophe.
    Pas même quelque chose d’urgent, objectivement.

    Juste des messages.
    Des interventions.
    Des prises de parole qui n’avaient pas lieu d’être.

    Envoyées publiquement.
    À plusieurs personnes.
    Avec un ton sec, autoritaire, moralisateur.

    Rien d’illégitime sur le fond.
    Mais tout était violent dans la forme.

    Ce qui m’a blessée, ce n’était pas le contenu.
    C’était :

    le ton,

    le caractère public,

    l’absence totale de considération pour mon état mental,

    cette façon de parler sur ma vie plutôt que avec moi,

    cette volonté de contrôle permanente déguisée en gestion, en souci, en normalité.


    Ce n’était pas une demande.
    C’était une intrusion.

    Quand le présent réveille tout le passé

    Ce message n’a pas touché que l’instant.
    Il a ouvert d’un coup toutes les portes anciennes :

    — celles où je devais me taire,
    — celles où on décidait pour moi,
    — celles où je devais encaisser sans broncher,
    — celles où ma voix passait après celle des autres,
    — celles où je n’étais jamais vraiment choisie.

    J’ai senti mon énergie se vider d’un coup.
    Comme si on avait tiré trop fort sur le fil fragile
    que je m’efforce de réparer depuis des mois.

    Ce n’était pas « rien ».
    C’était la goutte de trop.

    La colère de l’humiliation

    Ce que j’ai ressenti n’était pas une colère explosive.
    C’était une colère fatiguée.
    Une colère lasse.
    Une colère née de trop d’années à tolérer l’intolérable.

    Je suis fatiguée que l’on veuille décider de ma vie,
    fatiguée qu’on s’impose dans mon espace sans invitation,
    fatiguée que l’on minimise ce que je traverse,
    fatiguée de devoir encore répéter que ma vie m’appartient.

    À ce stade, ce n’est plus de l’inconfort.
    C’est insupportable.

    Parce que ça dure depuis beaucoup trop longtemps.
    Parce que j’ai 32 ans, bientôt 33.
    Parce que cette dynamique a existé toute ma vie,
    sous des formes différentes,
    mais toujours avec la même violence silencieuse.

    Ce que j’attends (et ce que je n’accepte plus)

    Je ne cherche pas le conflit.
    Je veux du respect.

    Je veux qu’on me parle comme à une adulte.
    Je veux qu’on respecte mon rythme.
    Je veux qu’on cesse de décider de ce qui est urgent à ma place.
    Je veux qu’on comprenne que ma santé mentale n’est pas négociable.

    Je ne demande pas qu’on prenne parti.
    Je demande qu’on pose des limites claires.
    Nettes.
    Saines.

    Parce que si ces limites ne sont pas posées,
    la seule chose qui reste pour se protéger…
    c’est la distance.

    Et parfois, couper n’est pas de la violence.
    C’est de la survie.

    Ce que je protège désormais

    Aujourd’hui, je protège :

    ma paix,

    mon énergie mentale,

    mon espace vital,

    ma dignité,

    mon autonomie,

    ma reconstruction.


    Je ne suis plus une unité en libre accès.
    Je ne suis plus une petite fille qu’on corrige.
    Je ne suis plus celle qui encaisse pour préserver l’équilibre des autres.

    Je suis une femme en reconstruction.
    Et ce que je traverse n’est plus négociable
    qu’on aime ou pas,
    qu’on comprenne ou pas.

    Conclusion

    2026 sera mon année.
    Celle de ma résurrection.
    De ma renaissance.
    De ma reprise de contrôle sur ma vie.

    À partir de maintenant,
    je ne tolérerai plus aucune ingérence.

    Je protège ma paix,
    même si ça dérange.

  • Je protège ma paix, même si cela m’oblige à partir pour pouvoir mieux respirer.

    Il y a des soirs où l’on ne tient plus.
    Pas parce qu’on est faible, mais parce qu’on a trop tenu.
    Des soirs où le corps lâche avant la tête,
    où les larmes sortent enfin après des jours à rester debout coûte que coûte.

    Ce texte est né dans l’un de ces soirs-là.
    Pas pour expliquer.
    Pas pour accuser.
    Juste pour déposer ce qui déborde,
    et rappeler que guérir n’est pas linéaire, ni propre, ni silencieux.

    Quand la reconstruction passe par l’effondrement

    Il y a des moments où l’on ne tient plus debout.
    Pas parce qu’on est faible.
    Mais parce qu’on a tenu trop longtemps.

    Ce soir, je ne suis pas en colère.
    Je ne suis pas en agitation.
    Je suis en effondrement.

    J’ai attendu que la maison s’apaise.
    Que les enfants dorment.
    Que le silence tombe enfin.
    Et c’est là que tout est sorti.

    Parce que c’est souvent comme ça que ça se passe :
    on tient pour les autres,
    on sourit pour protéger,
    on avance pour ne pas inquiéter,
    et on s’autorise à tomber seulement quand plus personne ne regarde.

    Ce que je vis n’est pas un “coup de trop”.
    C’est une accumulation.
    Une succession de pressions, d’ingérences, de paroles déplacées, de gestes faits sans demander,
    de décisions prises à ma place,
    de messages envoyés sans me consulter,
    de limites franchies comme si les miennes n’existaient pas.

    Et quand on est en reconstruction,
    quand on soigne une santé mentale fragile,
    quand on apprend à respirer à nouveau,
    ce genre de choses ne glisse pas.

    Ça percute.
    Ça ravive.
    Ça fatigue.
    Ça brise l’équilibre qu’on met des jours, parfois des semaines, à construire.

    Je ne suis pas en train de “faire une crise”.
    Je suis en train de décharger.

    Je pleure parce que mon corps n’en peut plus de contenir.
    Parce que mon système nerveux est saturé.
    Parce que j’ai atteint cette limite invisible où l’on ne peut plus encaisser sans se perdre soi-même.

    La guérison n’est pas linéaire.
    Elle n’est pas belle.
    Elle n’est pas constante.

    Il y a des jours où l’on avance.
    Et il y a des soirs comme celui-ci,
    où l’on s’effondre pour ne pas se briser.

    Et ce n’est pas un échec.
    C’est une étape.

    Je suis fatiguée que l’on veuille décider de ma vie.
    Fatiguée qu’on s’impose dans mon espace sans invitation.
    Fatiguée que l’on minimise ce que je traverse.
    Fatiguée de devoir encore répéter que ma vie m’appartient.

    À ce stade, ce n’est plus de l’inconfort.
    C’est insupportable.
    Parce que ça dure depuis trop longtemps.
    Parce que j’ai 32 ans, bientôt 33,
    et que cette dynamique a existé toute ma vie,
    sous des formes différentes,
    mais toujours avec la même violence silencieuse.

    Je suis une femme en reconstruction.
    Et ma paix n’est plus négociable.

    Ce soir, je n’ai pas de solution.
    Je n’ai pas de discours.
    Je n’ai pas de force.

    J’ai juste besoin que mon mental se taise.
    Que mon corps se repose.
    Que les larmes fassent leur travail.

    Et peut-être que demain,
    quand la tempête sera un peu retombée,
    je pourrai à nouveau me relever.

    Mais ce soir,
    je m’autorise à tomber.

    Parce que parfois,
    la seule façon de continuer à vivre,
    c’est de s’arrêter de lutter.

    Je n’écris pas ces mots pour qu’on me comprenne.
    Je les écris pour me respecter.

    Je protège ma paix, même si cela dérange.
    Même si cela bouscule.
    Même si cela m’oblige à m’éloigner pour survivre.

    Guérir, parfois, ce n’est pas aller mieux.
    C’est accepter de tomber sans se trahir.
    C’est écouter ce qui crie à l’intérieur
    et choisir, enfin, de respirer.

  • J’ai grandi derrière une vitre froide : lui d’un côté, moi de l’autre — sans jamais réussir à nous rejoindre.

    Il y a des figures parentales qui construisent.
    Il y en a d’autres qui marquent.
    Et puis il y a celles qui blessent en croyant éduquer.

    Celle de mon père fait partie des blessures qui forgent silencieusement une vie entière.

    Ce n’est pas une histoire de rancœur.
    C’est une histoire de vérité.
    Une histoire que je n’ai jamais osé raconter à voix haute — parce qu’elle me faisait croire que j’étais le problème.

    J’avais tort.

    UN PÈRE QUI PRENAIT TOUT L’ESPACE

    Mon père était froid.
    Autoritaire.
    Méprisant.
    Un homme dont la parole tombait comme une sentence.

    J’ai grandi dans son ombre, dans sa colère, dans ses humiliations quotidiennes.
    Pas de coups.
    Mais des mots.
    Des mots qui lacèrent bien plus profondément que les gestes.

    Je me souviens de la première phrase qui m’a fissurée :

    > « Tu n’es pas ma fille. Tu ne l’as jamais été. Tu ne le seras jamais. »



    J’ai appris très jeune à me réduire pour ne pas provoquer de tempête.
    À deviner ses humeurs.
    À anticiper ses explosions.
    À vivre dans un corps crispé.

    Et à croire que si un père ne m’aimait pas, je devais avoir quelque chose de cassé en moi.

    UNE VIOLENCE PSYCHOLOGIQUE QUI MARQUE LE CORPS

    Mon père n’avait pas besoin de crier fort pour faire mal.
    Son mépris suffisait.

    Son regard savait humilier. Ses mots savaient détruire :

    > « T’es incapable. Bonne à rien. »
    « Tu finiras dans une camionnette sur la 23, les cuisses ouvertes. »
    « Une femme, ça ferme sa gueule et ça obéit. »



    Oui.
    J’ai grandi avec un père qui considérait les femmes comme des objets.
    Qui pensait qu’une femme devait dire oui quoi qu’il arrive.
    Que son corps ne lui appartenait pas.

    Les racines du silence, du consentement forcé,
    de la peur de refuser,
    ont germé là.

    Dans ce terreau toxique.

    ET POURTANT… UNE LÉGÈRE FAILLE DANS SON ARMURE

    Il y a eu un moment différent.
    Un seul.

    Le jour où je suis tombée enceinte.

    Quand certains voulaient me forcer à avorter en Hollande
    — parce que le délai légal était passé —
    il s’est opposé, violemment, fermement.

    > « Cet enfant n’a rien demandé. On va l’élever. On va serrer les coudes. »



    C’était la seule fois où il a tenu une place de père protecteur.
    Une étincelle.
    Un instant de présence.

    Mais une lumière unique ne guérit pas une nuit entière.

    LE SOULAGEMENT IMPARDONNABLE dont je me suis longtemps voulu

    Quand il est mort, j’ai ressenti un soulagement.
    Et j’ai cru que ce soulagement faisait de moi une mauvaise fille.

    Aujourd’hui, je sais que non.

    Son départ a mis fin à sa domination.
    À ses humiliations.
    À sa voix dans ma tête.

    Sa mort n’a pas libéré mon cœur.
    Elle a libéré ma respiration.

    C’est après sa disparition que j’ai commencé à guérir.

    JE NE TE PARDONNE PAS — JE ME LIBÈRE

    Je n’ai pas besoin de pardonner pour avancer.
    Je n’ai pas besoin de minimiser pour comprendre.

    Je lui rends ce qui lui appartient :
    la honte, la violence, le mépris, la dureté.

    Je garde ce que je veux :
    la force d’avoir survécu,
    la résilience,
    la volonté de devenir une femme différente de celle qu’il voulait façonner.

    Je ne te dois rien, papa.
    Mais je me dois tout à moi-même.

    Je me choisis.
    Enfin.

    Raconter cette histoire n’est pas une vengeance.
    C’est une libération.

    Parce que mettre la lumière sur la violence,
    c’est empêcher qu’elle continue d’exister dans l’ombre.

    Aujourd’hui, je guéris de lui
    en refusant de devenir ce qu’il a voulu que je sois.
    Je guéris en aimant à voix haute.
    En respectant les femmes — et la femme que je suis.
    En transmettant à mes enfants autre chose que ce que j’ai reçu.

    Je guéris
    en me choisissant,
    chaque jour,
    un peu plus.

  • J’apprends à me libérer sans effacer l’amour.
    Je garde ma mère dans mon histoire, mais je reprends ma place dans la mienne.

    Pour survivre, j’ai appris à me taire

    Il y a des blessures qui ne laissent pas de marques visibles.
    Elles s’installent dans les gestes manqués, les silences trop longs, les câlins qui ne viennent jamais.
    Elles ne détruisent pas tout d’un coup :
    elles creusent, doucement, en profondeur.

    C’est dans ce creux-là que j’ai grandi.

    J’ai grandi à côté d’une mère qui n’était pas vraiment là

    Ma mère était toujours occupée.
    Toujours fatiguée.
    Toujours absorbée par autre chose.

    Et moi, j’étais l’enfant qui ne devait pas déranger :
    celle qui comprend trop tôt,
    qui se fait petite,
    qui porte tout sans jamais rien dire.

    Je n’ai pas grandi dans les conflits.
    J’ai grandi dans l’absence.

    Et cette absence-là façonne une enfant autant qu’une présence blessante.

    Une femme dominée ne peut pas être une mère protectrice

    Je l’ai compris bien plus tard :
    ma mère n’était pas distante par manque d’amour.
    Elle était soumise à un homme qui prenait toute la place,
    à un mari qui décidait, critiquait, écrasait.

    Elle marchait sur des œufs.
    Elle se taisait pour survivre.

    Comment aurait-elle pu me protéger,
    elle qui ne pouvait même pas se protéger elle-même ?

    La lignée émotionnelle qu’on ne voit pas

    Petite, je croyais que ma grand-mère était douce.
    Et puis la maladie d’Alzheimer a enlevé les filtres…
    et j’ai découvert une femme dure, cassante, autoritaire.

    Alors j’ai compris :
    si ma mère n’avait jamais connu la douceur,
    comment aurait-elle pu me l’offrir ?

    Elle n’a pas su accueillir mes émotions
    parce qu’elle n’a jamais appris à accueillir les siennes.

    J’aurais eu besoin d’une maman… pas seulement d’une mère

    Un jour, j’ai fini par lui dire la vérité :

    “J’ai manqué d’une maman.
    Une maman qui protège, qui écoute, qui console, qui tient.”

    Pas pour l’accuser,
    mais pour ne plus me sentir coupable d’un manque qui n’a jamais été ma faute.

    Ce dont j’aurais eu besoin, c’est de :
    • présence
    • douceur
    • protection
    • écoute
    • câlins
    • mots
    • « Je t’aime »
    • « Je suis là »

    Toutes ces choses qui construisent un enfant
    et qui m’ont tant manqué.

    Aujourd’hui, je vois la femme derrière la mère

    Je ne lui en veux plus.
    Je vois ses failles, son histoire, ses blessures.
    Je rends à son passé ce qui lui appartient
    et je reprends ce qui m’appartient à moi :

    ma voix,
    ma place,
    ma liberté d’exister sans m’effacer.

    Je n’attends plus la maman que je n’ai pas eue.
    Mais je laisse une petite place…
    au cas où, un jour, elle saurait dire :

    « Je suis là. »
    ou
    « Je t’aime. »

    Guérir, c’est remettre chacun à sa juste place

    Je ne réécris pas mon passé.
    Je n’efface rien.
    J’apprends simplement à me reconstruire autrement,
    sans reproduire le silence qui m’a blessée,
    sans m’inventer une mère que je n’ai jamais eue.

    Je me soigne.
    Je me relève.
    Je redeviens complète — autrement.

    Et je garde ma mère dans mon cœur…
    à sa juste distance,
    à sa juste place.

  • J’apprends à aimer ce qui reste sans souffrir de ce qui manque.

    Il y a des histoires qui ne naissent pas le jour où on les raconte,
    mais le jour où on accepte enfin de les regarder en face.

    Je crois que celle-ci en fait partie.

    C’est l’histoire de deux sœurs.
    Deux enfants élevées sous le même toit, mais jamais dans le même monde.
    Deux trajectoires qui auraient dû se croiser doucement,
    et qui pourtant ont passé leur vie à se frôler sans jamais s’apprivoiser.

    C’est une histoire d’amour maladroit, de blessures silencieuses,
    de rivalités tues, de malentendus qui ont laissé des cicatrices.

    C’est mon histoire.
    La nôtre.
    Celle que je porte depuis trop longtemps sans la dire.

    On dit souvent que dans une fratrie, chacun occupe une place.
    Ce qu’on oublie, c’est que certaines places enferment,
    et que d’autres étouffent.

    Moi, j’ai grandi dans l’ombre d’une sœur qui avait déjà treize ans d’avance.
    Quand elle était adolescente, j’étais une petite fille dans mon univers :
    licornes, paillettes, princesses, contes imaginaires.
    Elle, elle était déjà « grande », sportive, vive, extravertie, toujours dehors.

    Elle courait.
    Je rêvais.

    Elle brillait dans la performance.
    Je tremblais dans la sensibilité.

    Elle vivait dans l’action.
    Je survivais dans le silence.

    Nous étions sœurs,
    mais nous ne parlions pas la même langue.

    Quand j’étais petite, elle était mon héroïne.
    Mon refuge, ma seconde maman.
    Je la suivais partout, au point qu’elle devait parfois se cacher pour sortir.
    Je la regardais comme on regarde quelqu’un qui sait tout, fait tout, comprend tout.

    Et puis… elle est partie.
    Elle a quitté la maison pour travailler, ouvrir le bar-tabac avec notre mère.
    Moi, adolescente, je suis restée dans un foyer qui ne tournait plus autour de nous,
    mais autour des horaires d’ouverture.

    La vie l’a happée loin.
    Et moi, j’ai appris à exister toute petite dans le trop-plein des adultes.

    Il y a eu aussi ces phrases d’enfance, dites “pour rire”.

    — « T’es adoptée. »
    — « On t’a trouvée dans une poubelle. »

    Je riais.
    Je faisais semblant.

    Mais ce sont des phrases qui laissent un trou dans le cœur d’un enfant sensible.
    Une fissure dans l’estime de soi.
    Je ne comprenais pas que ce n’était pas de la méchanceté,
    juste une maladresse brute, non filtrée.

    Mais la froideur, quand elle vient de quelqu’un qu’on admire,
    ne coupe pas pareil.

    Puis la vie nous a séparées encore un peu plus.

    Elle est devenue adulte avant moi.
    Elle a affronté la perte d’un bébé,
    une douleur dont je n’ai vu que l’ombre.
    Elle s’est blindée, durcie, refermée.
    Elle est devenue cette femme qui tranche, qui juge, qui corrige.

    Et moi ?
    J’ai pris l’autre rôle.
    La petite sœur silencieuse.
    Celle qui encaisse.
    Celle qui espère être assez.
    Celle qui demande l’approbation.

    Après la mort de papa, elle est devenue… lui.
    Pas volontairement.
    Mais dans le ton, dans l’exigence, dans le jugement.

    Moi, j’attendais un rapprochement.
    J’ai reçu une distance plus froide encore.

    J’avais besoin d’une sœur.
    J’ai eu une surveillante

    Depuis quelques semaines seulement, quelque chose a bougé en moi.

    Je ne me sens plus écrasée.
    Je ne me sens plus étouffée.

    Mais je me sens encore blessée.
    Pas par ce qu’elle est,
    mais par ce qu’on n’a jamais su être ensemble.

    Ce que je voudrais ?
    Une vraie relation de sœurs.
    Pas parfaite, juste sincère.
    Celle où on s’appelle pour un fou rire, une mauvaise journée, une confidence.
    Où l’amour passe avant le jugement.

    Ce que je refuse désormais ?

    — son jugement
    — ses critiques
    — son rôle de “celle qui sait mieux”
    — son regard méprisant
    — sa volonté de contrôler
    — sa manière de projeter sa culpabilité
    — la sensation d’être toujours “pas assez”

    Je refuse de porter ce qui ne m’appartient plus.

    Et pourtant, je l’aime.

    Mais je l’aime lucidement.
    Je sais qu’elle ne sait pas dire les choses.
    Qu’elle ne s’autorise pas la douceur.
    Qu’elle a ses blessures, ses failles, ses silences.

    Je l’aime sans m’effacer.
    Sans attendre qu’elle devienne ce qu’elle ne peut peut-être pas être.
    Je l’aime à bonne distance.

    Aujourd’hui, je pose cette vérité :

    Nous ne serons peut-être jamais les sœurs que j’ai rêvé d’avoir.
    Pas parce qu’elle ne m’aime pas,
    mais parce que nous vivons dans deux météos différentes :

    Elle dans le vent, la vitesse, la force.
    Moi dans l’eau, la profondeur, le silence intérieur.

    Et ce n’est pas grave.

    Je peux aimer quelqu’un sans me renier pour lui.
    Je peux protéger ma lumière, mes limites, ma paix.
    Je peux choisir de ne plus espérer ce qui blesse,
    ni de courir après ce qui ne vient pas.

    Et peut-être qu’un jour,
    lorsque sa voix cessera de vouloir couvrir la mienne,
    nos deux silences pourront enfin s’entendre sans s’écraser.

    Il m’a fallu trente-deux ans pour comprendre
    que ma sœur n’était pas mon ennemie.
    Elle était simplement prisonnière de son rôle,
    comme moi je l’étais du mien.

    Aujourd’hui, je rends à la vie ce qui nous a séparées.
    Je garde d’elle ce qui fait grandir.
    Je laisse derrière ce qui abîme.

    Peut-être qu’un jour nos chemins se croiseront autrement.
    Sans lutte.
    Sans comparaison.
    Sans bruit.

    En attendant, je prends soin de moi.
    Et je prends ma liberté.

  • J’ai longtemps laissé les autres entrer dans ma vie sans frapper.
    Aujourd’hui, ma paix n’est plus une porte ouverte.

    Il y a des moments où l’on tient debout de justesse.
    Des moments où chaque jour ressemble à une bataille silencieuse contre soi-même une bataille que personne ne voit, que personne ne comprend vraiment.

    Et c’est souvent dans ces moments-là, les plus fragiles, que la vie appuie sur une vieille blessure.
    Sans douceur.
    Sans prévenir.
    Sans égard.

    Ce matin-là, j’allais mieux.
    Pas bien, mais mieux.
    Assez pour respirer.
    Assez pour espérer que la journée ne me tombe pas dessus.

    Puis un message est arrivé.

    Pas un drame.
    Pas une catastrophe.
    Juste… un message.

    Mais ce n’est jamais “juste un message” quand on va mal.

    Il a été envoyé publiquement, à plusieurs personnes, sur un ton sec, froid, autoritaire.
    Un message qui aurait dû être privé.
    Un message qui aurait pu attendre.
    Un message qui aurait pu être dit autrement, avec respect, tact, humanité.

    Ce que j’ai reçu, ce n’était pas une simple demande.
    C’était une intrusion.
    Une pression.
    Une humiliation déguisée.
    Une tentative de reprendre un pouvoir qui ne leur appartient pas.

    Et j’ai senti mon énergie s’effondrer d’un coup.

    Ce message n’a pas touché que mon présent.
    Il a rouvert toutes les portes de mon passé :

    — celles où je devais me taire,
    — celles où je n’avais jamais mon mot à dire,
    — celles où on décidait pour moi,
    — celles où je devais encaisser,
    — celles où on me parlait comme si je n’avais pas de valeur,
    — celles où mon espace ne m’appartenait pas.

    Ce n’est pas le contenu qui m’a blessée.
    C’est le ton, la manière, le moment.
    C’est l’absence totale de considération pour mon état mental actuel.
    C’est cette façon de m’adresser un ordre public, comme si j’étais une enfant, comme si je ne savais pas gérer ma vie, comme si mon état n’avait aucune importance.

    La colère de l’humiliation

    Ce que j’ai ressenti, c’est une colère profonde.
    Pas violente.
    Pas explosive.

    Une colère triste, usée.
    Une lassitude qui prend la poitrine comme un poids immense.

    Je suis fatiguée.

    Fatiguée qu’on s’autorise à intervenir dans ma vie sans me demander mon avis.
    Fatiguée qu’on minimise sans cesse ma santé mentale.
    Fatiguée qu’on ignore mes limites comme si elles n’avaient aucune importance.
    Fatiguée qu’on me parle comme à quelqu’un qu’il faut corriger, cadrer, diriger.

    Je me reconstruis.
    Je me bats chaque jour pour tenir debout.
    Je n’ai plus la force d’absorber des intrusions déguisées en “préoccupations”.

    Ce n’est pas une question de serrure ou de mur.
    C’est une question de respect.
    De dignité.
    D’humanité.

    Ce que j’aurais eu besoin d’entendre

    Dans un monde sain, la version respectueuse aurait ressemblé à ceci :

    « Quand tu seras prête, on regardera ensemble les réparations.
    Pas d’urgence. Tu me dis quand c’est bon pour toi.”



    Privé.
    Simple.
    Humain.

    Pas un message collectif.
    Pas une accusation.
    Pas une pression.
    Pas une intrusion dans un moment où je lutte déjà pour respirer.

    L’empathie, c’est ça : respecter le rythme de l’autre.
    Pas lui imposer le sien.

    Ce que j’ai osé demander

    Dans cette détresse, j’ai fait quelque chose que je fais rarement :
    j’ai demandé du soutien à ma mère.

    J’ai espéré qu’elle me protège.
    Qu’elle me défende.
    Qu’elle remette les choses à leur place.
    Qu’elle dise ce que je rêve d’entendre depuis toute une vie :

    “Respecte-la.
    Ce n’était pas le moment.
    Occupe-toi de tes affaires.
    Ne lui rajoute pas ça maintenant.”

    J’ai espéré qu’elle me choisisse, moi.

    Juste cette fois.
    Juste là, quand j’en avais vraiment besoin.

    Ce que je protège maintenant

    Aujourd’hui, je protège :

    — ma paix mentale
    — mon énergie émotionnelle
    — mon espace vital
    — ma dignité
    — mon autonomie
    — ma reconstruction

    Je refuse d’être un terrain d’occupation émotionnelle.
    Je refuse qu’on s’autorise à entrer chez moi dans ma vie, dans ma tête sans frapper.
    Je veux qu’on respecte mes limites.
    Je veux qu’on me parle comme à une adulte.
    Je veux qu’on me laisse gérer ce qui m’appartient.
    Je veux qu’on cesse de décider pour moi.

    Et surtout, aujourd’hui, je peux enfin dire :

    Je ne suis plus une terre en libre accès.
    Je ne suis plus un espace où l’on entre sans frapper.
    Je ne suis plus une petite fille qu’on corrige.
    Je ne suis plus celle qui encaisse.
    Je suis une femme en reconstruction  et ma paix n’est plus négociable.
    Qu’on aime ou pas, qu’on comprenne ou pas : ce n’est plus mon problème.

    Ceux qui ne vivent pas une dépression pensent souvent qu’un simple message ne peut pas faire si mal.
    Ils ne voient pas l’équilibre fragile.
    Ils ne voient pas les journées passées à essayer de tenir debout.
    Ils ne voient pas la reconstruction silencieuse, invisible, mais quotidienne.

    Ils ne voient pas que parfois,
    une seule intrusion suffit à fissurer tout ce qu’on tente de réparer.

    Alors je le dis ici : On ne doit plus accepter ce qu’on a accepté par survie.
    On ne doit plus laisser les autres définir l’urgence.
    On ne doit plus laisser quiconque piétiner notre paix.

    Parce qu’on a déjà assez porté.
    Parce qu’on apprend enfin à se choisir.
    Parce qu’on mérite le respect sans conditions, sans excuses, sans justification.

  • J’ai arrêté de demander la permission. J’ai commencé à vivre

    Il y a des gestes minuscules qui marquent des tournants immenses.
    Parfois, ce n’est pas un cri, pas un affrontement, pas une rupture.
    Parfois, c’est juste un canapé.
    Ou plutôt : le moment où tu décides de le choisir seule, de l’aller chercher seule, de ne plus demander la permission pour t’autoriser à exister comme tu veux.

    Ce week-end-là, quelque chose en moi s’est déplacé.
    Discrètement.
    Mais irréversiblement.

    Il y a quelque chose que j’ai compris ce week-end-là,
    quelque chose que je n’avais jamais vraiment voulu regarder en face.

    Depuis des années, ma sœur et mon beau-frère vivent dans cette illusion
    qu’ils « savent mieux que moi »,
    qu’ils sont plus capables,
    plus solides,
    plus organisés.
    Ils se sont habitués à ce que je demande,
    à ce que j’attende,
    à ce que je me repose sur eux — ou que je sois perçue comme telle.

    Et pour eux, chaque service rendu devenait une forme de monnaie.
    Un échange implicite,
    un poids qu’ils ressentaient en permanence,
    comme si m’aider leur ouvrait un droit de regard
    sur ma vie,
    mes choix,
    mes décisions,
    mon quotidien.

    Il y avait, sans que je ne m’en rende compte,
    une forme d’emprise douce,
    cachée derrière l’habitude,
    la famille,
    le “on est là pour toi”.

    Mais la vérité, c’est qu’on n’est jamais vraiment aidé
    par quelqu’un qui, en secret,
    attend d’avoir quelque chose à te reprocher plus tard.

    Ce dimanche-là, quand j’ai dit que j’allais voir un canapé,
    j’ai senti immédiatement le mécanisme s’enclencher :
    les questions,
    les remarques,
    et cette étrange idée que forcément,
    il faudrait passer par eux.

    Comme si ma sœur devait valider chaque décision.
    Comme si mon beau-frère devait contrôler les clés,
    les portes,
    les mouvements,
    comme si tout ce qui m’appartenait devait passer entre leurs mains
    pour exister correctement.

    Mais cette fois, je n’ai rien demandé.
    Pas par provocation.
    Pas par rancœur.

    Par choix.

    Parce que j’ai enfin compris que chaque fois que je m’en remettais à eux,
    même pour une bricole,
    je leur laissais un morceau de mon autonomie.
    Un petit morceau de ma liberté.
    Et ce jour-là, j’ai réalisé que je ne voulais plus vivre sous ce système-là.

    Alors oui, quand ils m’ont dit :
    « On est là aussi, si tu as besoin d’aide »,
    j’ai entendu autre chose derrière les mots.

    J’ai entendu :
    « Ne fais pas sans nous.
    Ne grandis pas sans nous.
    Ne prends pas l’habitude de réussir seule.
    On perdrait notre rôle.
    On perdrait notre contrôle. »

    Et ce n’est pas de la méchanceté.
    C’est de l’habitude.
    Une dynamique installée depuis des années.
    Une place que je leur avais laissée sans jamais la questionner.

    Mais en ramenant ce canapé,
    sans eux,
    avec quelqu’un qui me respecte et m’aide sans condition,
    j’ai senti un verrou sauter en moi.

    J’ai senti que je n’avais plus à passer par eux pour exister.
    Que leur validation n’était plus une étape obligatoire.
    Que je pouvais créer ma vie
    sans demander la permission
    à ceux qui ne m’ont jamais vraiment vue.

    Et c’est là que j’ai compris :
    ce n’est pas le canapé que je ramenais chez moi.
    C’était ma souveraineté.
    Ma capacité d’agir seule.
    Mon espace qui m’appartient.

    Pour la première fois depuis longtemps,
    je me suis prouvée à moi-même
    que je pouvais faire.
    Que je pouvais décider.
    Que je pouvais avancer.
    Même seule.
    Surtout seule.

    Et ça…
    ça a tout changé.

    Ce n’était pas un meuble.
    Ce n’était pas un changement de décor.
    C’était un changement de place — ma place.

    Ce jour-là, j’ai posé un canapé dans mon salon,
    mais surtout, j’ai reposé mes deux pieds dans ma propre vie.
    Sans demander l’avis de personne,
    sans chercher une validation qui n’arriverait jamais,
    sans me diminuer pour rester dans un rôle qui ne me convenait plus.

    J’ai repris un espace que j’avais laissé aux autres.
    J’ai coupé un fil invisible.
    Et j’ai senti, pour la première fois depuis longtemps,
    que ma vie m’appartenait de nouveau.

    Ce jour-là,
    j’ai cessé de demander la permission.
    Et j’ai commencé à vivre.

  • Il y a des endroits qu’on croit connaître par cœur.
    Des pièces où l’on a ri, pleuré, vécu, aimé.
    Des murs que l’on a touchés mille fois sans y penser.
    Et puis un jour, sans qu’on comprenne comment,
    ces mêmes murs ne savent plus qui nous sommes.

    C’est exactement ce qui m’est arrivé.
    Ma maison n’a pas changé d’adresse…
    mais elle a oublié mon nom.

    Je réapprends à vivre dans des espaces qui ont oublié mon nom.

    Depuis qu’il est parti, rien n’est à la même place.
    Pas les meubles, pas les silences, pas mon corps dans l’espace.
    Je marche dans cette maison comme on marche dans un lieu qu’on connaît
    mais qui nous échappe soudain,
    comme si chaque pièce avait glissé d’un millimètre pendant la nuit.

    Avant, j’y vivais.
    Aujourd’hui, je la subis.

    Parce que je me rends compte d’une chose terrible,
    une chose que je n’aurais jamais osé penser à voix haute :
    partout où il allait, j’étais chez moi.
    Mais quand il n’est plus là… je ne suis chez moi nulle part.

    Alors oui, j’essaie.
    J’essaie de me réapproprier les lieux, de remettre un peu de moi quelque part,
    de ramener ma trace là où la sienne s’est effacée trop vite.

    J’ai commencé par un canapé.
    Le nôtre était petit, simple, étriqué comme tout ce que je ressens aujourd’hui.
    J’avais besoin d’espace, de douceur, de quelque chose qui puisse accueillir
    les soirées pyjama du dimanche,
    ces nouveaux rituels à trois
    qui seront notre façon à nous de tenir debout.

    Le nouveau canapé n’est pas grand-chose.
    Mais c’est un début.
    Il remplit un coin du salon,
    et ce coin-là commence enfin à respirer autrement.

    Ensuite, il y a les projets de travaux.
    Des peintures que j’ai toujours voulu faire,
    des couleurs que je n’ai jamais osé choisir,
    des choses reportées pendant des années
    par manque de temps, de force, ou peut-être juste d’existence.

    Maintenant, je me surprends à y penser.
    À les imaginer.
    À me dire que peut-être
    je pourrais enfin décider seule de ce qui habite mes murs.

    C’est étrange, cette idée de reconstruire ma place dans un endroit
    où je ne suis plus sûre d’exister.

    Je marche, je regarde autour de moi,
    je tente de comprendre comment réapprendre ce lieu,
    comment me réancrer dans un sol qui ne me reconnaît plus.

    Rien ne sera immédiat.
    Rien ne sera simple.
    Chaque objet déplacé me renvoie quelque chose que je perds,
    et quelque chose que je tente de retrouver.

    Mais je sens malgré tout une petite chose,
    minuscule, fragile, vacillante —
    pas de l’espoir, non.
    Juste… la possibilité d’un espace à moi.

    Un espace qui viendra peut-être,
    pièce après pièce,
    geste après geste,
    dans la lenteur que demande une maison qui doit réapprendre mon nom.

    Je ne sais pas encore comment redevenir chez moi ici.
    Je ne sais pas encore comment remplir ce vide sans me perdre dedans.
    Mais je sais une chose :

    je suis en train de reconstruire ma place
    dans ces quatre murs qui ne me reconnaissent plus.

    Et pour l’instant, c’est suffisant.

  • Il y a des jours qui basculent sans prévenir.
    Pas dans le bruit, pas dans la colère, mais dans ce silence étrange où quelque chose glisse, se déplace, se défait.
    Aujourd’hui, ce n’est pas seulement lui qui est parti.
    C’est la maison qui a changé de forme,
    et moi avec.

    Je marche dans une maison où je n’existe plus vraiment.

    Aujourd’hui, la maison a changé de forme.
    Pas parce qu’on a déplacé des meubles,
    pas parce qu’on a vidé une chambre,
    pas parce qu’un camion est venu prendre ce qui était à lui…

    Non.
    La maison a changé de forme
    parce que lui n’y vit plus.

    Ce matin, pendant qu’il chargeait sa voiture pour aller vers cette nouvelle vie qui n’est plus la nôtre,
    j’ai senti quelque chose se décaler en moi.
    Comme si les murs s’élargissaient,
    comme si l’air devenait plus lourd,
    comme si l’espace qu’il laisse derrière lui était… palpable.

    Je savais que ce jour arriverait.
    Je savais que c’était inévitable.
    Mais on n’est jamais vraiment prête à regarder quelqu’un fermer la porte
    alors que son parfum traîne encore dans le couloir.




    Quand je suis partie travailler,
    il était au téléphone avec l’autre.
    Il habillait notre fille,
    préparait sa journée de déménagement,
    organisait cette vie où je ne suis plus la personne qu’il appelle,
    plus la personne avec qui il partage la fin de la journée,
    plus la personne qui compte.

    Et pourtant, quelques minutes plus tôt,
    il me tenait dans ses bras.
    Quelques minutes plus tôt,
    il murmurait ce surnom que je suis la seule à porter.
    Quelques minutes plus tôt,
    il me disait qu’on continuerait à passer des moments à deux,
    des moments à quatre,
    comme si rien n’avait vraiment été brisé.

    Cette incohérence m’a fissuré quelque chose à l’intérieur.
    Parce qu’elle me donne l’illusion que tout pourrait encore être pareil…
    alors que tout change sans mon consentement.




    Quand je suis revenue dans la maison après son départ,
    il n’y avait pas de bruit, pas de voix, pas de mouvement.
    Juste un silence étrange,
    un silence qui grince.

    C’est fou comme une maison peut devenir étrangère
    quand la personne qu’on aime n’y habite plus.

    Ce n’est pas la souffrance que je regarde aujourd’hui.
    C’est l’espace qu’elle ouvre.
    Cet espace où je me surprends à me dire que peut-être
    je ne suis pas folle,
    peut-être que ce que je ressens a vraiment un poids,
    peut-être que la vie, parfois,
    met brutalement en lumière ce qu’on refusait de voir.




    Aujourd’hui, la maison a changé de forme.
    Et moi aussi, un peu.
    Je ne sais pas encore comment tenir debout dans ce nouvel espace,
    mais j’avance.
    Pas parce que c’est simple,
    pas parce que ça va,
    pas parce que je suis forte…

    J’avance parce que je n’ai pas le choix.
    Parce que ma vie continue,
    même quand tout ressemble à une déchirure.

    Peut-être qu’un jour,
    ce silence-là deviendra une paix.
    Peut-être qu’un jour,
    je sentirai que cette porte qui s’est fermée
    en ouvrait une autre que je n’avais pas encore regardée.

    Pour l’instant…
    je respire.
    Une inspiration après l’autre.
    Un pas après l’autre.
    Dans cette maison qui n’est plus vraiment la même,
    et dans cette vie qui commence, malgré moi.

    Ce jour-là, rien n’a explosé,
    rien n’a hurlé,
    mais tout s’est déplacé d’un millimètre qui a fait trembler tout le reste.

    Je marche maintenant dans un espace qui sonne creux,
    un espace trop large, trop vide, trop silencieux.
    Je n’ai pas trouvé comment m’y tenir,
    ni comment respirer dedans.

    Et le plus étrange,
    le plus violent peut-être,
    c’est que cette maison qui était chez moi tant qu’il y vivait
    est devenue, en quelques heures,
    un lieu inconnu.
    Un endroit familier dans lequel je me sens étrangère,
    comme si sa présence en faisait une maison
    et que son absence n’en laisse qu’un décor.

    Je sais juste que quelque chose s’est arrêté,
    et que rien d’autre n’a commencé.
    Je suis là, au milieu,
    dans ce moment suspendu où l’on avance parce qu’on ne peut pas faire autrement,
    et où chaque pas ressemble à une absence qui continue de marcher.

    Pour l’instant, je ne fais que ça :
    j’avance dans cette maison qui n’a plus la même forme,
    dans cette vie qui ne ressemble plus à la mienne,
    avec ce cœur qui tente de suivre,
    sans y croire tout à fait.

    Ni plus, ni moins.